La conférence de l’Association pour l’Etude du Pic Pétrolier qui s’est tenue à Cork va sans doute marquer un tournant. Les professionnels du secteur sont de plus en plus nombreux a estimer que la ressource pétrolière va plafonner sous peu. Combien de temps reste-t-il ? Cinq ans ? Peut-être moins.
Les dirigeants de l’industrie pétrolière sont de plus en plus nombreux à estimer qu’il ne reste que quelques années avant que la production de pétrole n’atteigne son maximum, et que nous nous dirigeons en aveugles vers une catastrophe économique.
Par David Strahan, The Guardian, 3 octobre 2007
La section irlandaise de l’Association pour l’Etude du Pic Pétrolier (ASPO) ne pouvait espérer de circonstances plus favorables pour elle. La semaine dernière, au premier jour de la conférence organisée par l’ASPO à Cork, le prix du pétrole a atteint son plus haut historique, et les jours suivants il a battu ce record par trois fois.
Le prix a depuis baissé quelque peu, mais reste aujourd’hui autour de 80 dollars. Il a été multiplié par 8 en moins d’une décennie, et de nombreux analystes prévoient désormais qu’il pourrait atteindre 100 dollars à la fin de l’année. Tout ceci ne reflète pas uniquement des vicissitudes à court terme - comme l’effet des cyclones dans le golfe du Mexique, l’Iran, l’insécurité régnant dans le delta du Niger - mais c’est aussi l’indice d’une prise de conscience que la production pétrolière approche de ses limites géologiques fondamentales.
Depuis de nombreuses années, l’idée que la production pétrolière mondiale commencera à décliner rapidement, entraînant des conséquences économiques potentiellement catastrophiques, était ignorée par l’industrie pétrolière et restait cantonnée à la marge des débats écologiques, soulevant un intérêt sans commune mesure avec celui du réchauffement climatique. Mais lorsque les historiens se pencheront sur cette période, 2007 sera sans doute considérée comme l’année où ce sujet est entré dans le débat public. A Cork, James Schlesinger l’ancien Secrétaire à l’énergie US, a déclaré aux congressistes qu’ils n’étaient plus désormais une petite minorité criant dans le désert. « Vous pouvez considérer que vous avec gagné, » leur a-t-il dit.
C’était une phrase forte - et vraie. Bien que la plupart des dirigeants du secteur pétrolier continuent à nier publiquement ce qui apparaît pourtant de plus en plus évident au fil des mois, l’omerta pratiquée par cette industrie est en train de tomber. Thierry Demarest, le président de Total, a déclaré l’année dernière que la production connaîtrait son pic en 2020 et pressé les gouvernements de mettre fin aux atermoiements avant l’heure fatale. A Cork, l’ancien président de la Shell, Lord Oxburgh, m’a confié qu’il prévoyait que la demande surpasse la production d’ici 20 ans et que le baril pourrait atteindre 150 dollars. « Nous allons tels des somnambules vers un problème qui va se révéler très grave, et il pourrait être trop tard pour faire quoi que ce soit le jour ou nous en prendrons pleinement conscience, » juge-t-il.
Que la plupart des dirigeants de l’industrie pétrolière continuent de refuser la perspective d’une diminution de leur activité ne constitue pas une surprise, mais les preuves sont pourtant de plus en plus difficiles à ignorer, alors même que les compagnies se battent pour maintenir la production et remplacer ce qui est produit par de nouvelles découvertes.
Dans une étude récente, John Herold a montré que les 230 plus grandes compagnies avaient augmenté leurs dépenses de 45%, pour atteindre 400 milliards de dollars en 2006, mais que les réserves ne s’étaient accrues que de 2%. Et sans l’inclusion des gisements de sables bitumineux difficiles à extraire du Canada, il n’y aurait eu aucune progression des réserves. Cette étude en conclut que le pic pétrolier fait partie de l’horizon de planification à long terme des pétroliers, et ne laisse aux compagnies que quatre options : « Tenter d’acquérir un statut dominant, trouver une niche, extraire ce qui reste ou liquider l’activité rapidement. »
Les difficultés rencontrées par les compagnies pétrolières internationales ne sont pas une surprise, car celles-ci sont largement exclues des zones où le potentiel est le plus grand, comme le Moyen Orient, et restent confinées là où les puits sont les plus anciens, comme en Mer du Nord, où la production a atteint son pic en 1999 et a déjà chuté de 40%. La production des pays de l’OCDE baisse depuis 1997, et il est désormais largement admis que la production en dehors de l’OPEP atteindra son pic aux alentours de 2010. Même ceux qui rejettent l’idée d’un futur pic pétrolier, comme Rex Tillerson le dirigeant d’Exxon, se rangent à ces vues. Récemment, il m’a déclaré qu’il ne s’attendait plus à une augmentation de la production non OPEP au delà de cette décennie.
La question est d’importance, car il existe des doutes sérieux sur la taille des réserves de l’OPEP, encore renforcées depuis la publication de documents internes à la Kowait oil Company (KOC), l’année dernière. Ceux-ci ont révélés que, bien que le Kowait affirmait depuis 20 ans qu’il disposait de 100 milliards de barils de réserve, les estimations internes de la KOC s’établissaient à seulement 24 milliards de barils, confirmant les suspicions largement répandues selon lesquelles les réserves de l’OPEP auraient été surévaluées au début des années 1980 lorsque que les membres tentaient d’obtenir des quota de production plus importants [1]. En 2005, l’agence de conseil PFC a averti le Vice Président Dick Cheney que selon une appréciation plus réaliste des réserves de l’OPEP, sa production atteindrait un pic en 2015.
L’OPEP a récemment annoncé une augmentation de sa production de 500 000 barils/jour, mais certains analystes doutent que le cartel ait la capacité de produire ce surplus pourtant modeste. Avec les prévisions de l’ Agence Internationale de l’Energie (AIE) qui tablent sur une augmentation de la demande de 2 mb/j [2], devant atteindre 88 mb/j à la fin de l’année, la question majeure pour le marché pétrolier, c’est de savoir si le plafonnement actuel de la production de l’OPEP est le résultat d’une décision volontaire. Même si l’OPEP peut augmenter sa production, la consommation intérieure de ses membres, tout spécialement de l’Arabie Saoudite, croît si vite que les exportations pourraient de toute façon décliner bientôt.
Le seul pays de l’OPEP qui a la capacité d’accroître sa production considérablement, en théorie tout au moins, c’est l’Irak, où elle a été maintenue de nombreuse années en dessous de ses capacités par les sanctions de l’ONU et la guerre contre l’Iran. Son rôle clé a été reconnu récemment par Fatih Birol, l’économiste en chef de l’AIE qui a averti « si la production irakienne ne s’accroît pas de façon exponentielle d’ici 2015, nous avons un gros problème, même si l’Arabie Saoudite tient ses promesses. Les chiffres sont clairs. Aucun besoin d’être un expert. »
La guerre n’a pas été faite uniquement « largement pour le pétrole » comme l’a concédé Alan Greenspan, l’ancien directeur de la Fed, mais entièrement, semble-t-il, pour retarder le moment du pic pétrolier. Si c’est le cas, cette stratégie a échoué lamentablement. Avec des attaques quasi quotidiennes sur les oléoducs, la production périclite à son niveau d’avant l’invasion et les probabilités d’une augmentation significative de celle-ci dans un futur prévisible avoisinent zéro, qu’intervienne ou pas la promulgation de la nouvelle loi sur le pétrole qui fait depuis longtemps l’objet d’âpres discussions.
Les opposants à la théorie du pic pétrolier affirment que celui-ci n’est pas imminent car il resterait du pétrole à découvrir dans des régions comme l’Afrique de l’Ouest ou l’Arctique, où Canada, Russie, Danemark et Norvège se pressent pour faire valoir leurs droits territoriaux. Ces vues s’appuient souvent sur une étude des ressources mondiales publiée en 2000 par l’ US Geographical Survey (USGS), qui concluait que l’industrie pourrait découvrir 650 milliards de barils avant 2025. Dans la mesure où la quantité de pétrole découverte chaque année décroît depuis le milieu des années 1960, et s’élève à seulement 9 milliards de barils par an - soit un tiers de la consommation annuelle - cette étude est considérée depuis longtemps comme inconsidérément optimiste par les tenants du pic pétrolier.
Un nouveau signe de la rapidité avec laquelle ce débat évolue a été fourni en novembre dernier au Colorado, lorsque les chiffres de l’USGS ont été réfutés par les experts de l’industrie réunis pour débattre sur le sujet. La conférence, organisée par American Association of Petroleum Geologist, avait pour ordre du jour les estimations des ressources mondiales et leurs différences notables. Tenue à huis clos, elle rassemblait les experts techniques des majors, Exxonmobil, Shell, BP, Total et Chevron, ainsi que quelques compagnies d’état comme la soudienne Aramco.
Selon Ray Leonard, un dirigeant de la Kowait Energy Company, les experts ont remis en cause les évaluations optimistes de l’USGS en s’appuyant sur les données détaillées de leurs entreprises. Le consensus sur le volume des futures découvertes s’est établi à 250 milliards de barils - à peine plus du tiers de l’estimation de l’USGS.
Sur la base de cette évaluation, Leonard conclut que la production mondiale arrivera à son maximum, suivi par un plateau, entre 95 mb/j et 100 mb/j, avec un envol des prix, dans à peu près cinq ans. « S’il y a une récession mondiale, cela peut prendre un peu plus longtemps. Si les américains envahissent un autre pays producteur, cela peut arriver bien plus tôt. Mais cela va arriver dans à peu près cinq ans, donc nous devons nous y préparer, » estime-t-il. Les prévisions de Leonard sont semblables à celles de l’AIE, qui annonce un « effondrement de l’offre » en 2012.
Nous pourrions bien avoir attendu trop longtemps pour nous y préparer. De nombreux dirigeants de l’industrie, comme James Buckee, le directeur exécutif de la compagnie canadienne indépendante Talisman, sont convaincus que nous avons déjà atteint le pic. Et avec quelques bonnes raisons. La production de carburants liquides est aujourd’hui plus faible qu’il y a un an.
Pourtant les gouvernements continuent d’ignorer le problème - tout au moins en public. Mon sentiment est que nous disposons encore de quelques années, mais avec la demande qui continue de s’accroître nous devrions être fixés sous peu.
2007 rentrera peut-être dans les annales comme l’année où le pic pétrolier a atteint le grand public. Parce ce que ce sera l’année où il s’est produit.
http://contreinfo.info/article.php3?id_article=1318
publication originale The Guardian, traduction Contre Info.
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