AFP le 28/06/2007 12h24 Steel Partners, apôtre du capitalisme "sauvage", tombe sur un bec au Japon Warren Lichtenstein, co-fondateur du fonds d'investissement Steel Partners, à Tokyo, le 12 juin 2007 © AFP Yoshikazu Tsuno Steel Partners, un fonds d'investissement américain qui ambitionne d'"éduquer" les Japonais au capitalisme à l'occidentale, à coups de raids boursiers hostiles, est tombé sur un bec dans un pays qui n'apprécie guère la liberté du renard dans les poulaillers. Que ce soit avec la sauce Bull-Dog, les nouilles instantanées Myojo, la bière Sapporo ou encore les perruques Aderans, la méthode Steel Partners est toujours la même : le fonds s'invite dans le capital d'entreprises moyennes cotées en Bourse et, quelques mois plus tard, passe à l'attaque. Les nouilles Myojo ont été la première cible d'une offre publique d'achat (OPA) non sollicitée. Elles ont pu en réchapper grâce à un "chevalier blanc" japonais, Nissin, qui a surenchéri et emporté la mise. La brasserie Sapporo s'est ensuite retrouvée, à son tour, dans le collimateur de Steel Partners. Elle s'en est tirée en faisant adopter par ses actionnaires une "pilule empoisonnée", un mécanisme juridique qui fait fondre les participations des intrus aux intentions prédatrices. Le fonds dont le siège est à San Francisco possède aujourd'hui des parts dans une trentaine de sociétés japonaises. "Nous devons éduquer les dirigeants des entreprises dans lesquelles nous investissons ainsi que le reste des actionnaires", explique le patron de Steel Partners, Warren Lichtenstein, qui se présente comme "un investisseur actif cherchant à travailler avec la direction des compagnies de son portefeuille afin d'accroître la valeur des sociétés". Les patrons nippon concernés ont une toute autre opinion du fonds américain, qu'un haut responsable du ministère de l'Economie a accusé de pratiquer le "greenmail", chantage consistant à menacer une entreprise d'OPA pour déclencher une surenchère et empocher au passage une plus-value. Steel Partners a réfuté l'accusation. "La façon dont ce type a débarqué, a commencé à invectiver et à donner des leçons pour inculquer aux Japonais les bonnes manières de l'Occident a été une erreur tactique", estime Noriko Hama, économiste à l'Université Doshisha. "Ceci dit, le fait qu'un renard fasse irruption dans le poulailler a le mérite de réveiller les poules. Des actionnaires qui étaient complètement endormis se sont brusquement dressés pour défendre leurs intérêts et ceux de leur entreprise. Le risque rend les gens plus intelligents", plaide-t-elle. Les actionnaires du vénérable fabricant de sauces Bull-Dog, visé par une OPA de Steel Partners, se sont ainsi ligués pour faire capoter l'offensive. A plus de 80%, ils ont adopté une "pilule empoisonnée" qui divisera par trois la participation du fonds américain et l'empêchera de s'emparer de la société. Saisi par Steel Partners, le tribunal de Tokyo a confirmé la légalité de la mesure et a débouté jeudi le prédateur. La plupart des patrons japonais sont allergiques aux raids boursiers qui menacent de les éjecter de leurs fauteuils chèrement acquis après des décennies d'avancement à l'ancienneté, et heurtent les traditions locales de consensus et de courtoisie. Aucune OPA hostile n'a jamais réussi au Japon. "Ceux qui prétendent entrer dans une entreprise ayant plus de cent ans d'histoire sans ôter leurs chaussures ne devraient jamais être autorisés à le faire", a ainsi lancé, furibard, un actionnaire de Bull-Dog Sauce aux représentants de Steel Partners, en faisant allusion au code de la politesse japonais qui exige qu'on se déchausse avant d'entrer chez quelqu'un. "C'est une déclaration très intéressante", commente Mme Hama. "Elle exprime un rejet, mais elle contient aussi une invitation : ceux qui respectent les règles de la décence, ceux qui enlèvent leurs chaussures et qui n'ont pas de trous à leurs chaussettes, sont les bienvenus", explique-t-elle. Selon l'économiste, "c'est une bonne indication du psyché de l'actionnaire japonais : il prend goût au risque, il est davantage prêt à jouer le jeu du marché, mais il n'aime pas voir des gens se comporter grossièrement".
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