La Chine renforce sa flotte
Mise en ligne 28/08/2007 04h00
Par Gordon Fairclough
The Wall Street Journal
KAOLAO, Chine | Un promontoire rocheux s'avance dans la mer Jaune. D'un côté, un village de pêcheurs délabré et des bateaux de bois tirés sur la grève. De l'autre, des mouillages où dorment quelques-uns des navires les plus modernes de la marine chinoise: des sous-marins d'attaque lourdement armés.
Ces submersibles furtifs, dont on ne voit que le kiosque noir et la dérive émerger de l'eau, sont l'une des manifestations les plus éloquentes des efforts ambitieux entrepris par la Chine pour moderniser sa force de frappe, et particulièrement sa flotte longtemps négligée.
Plusieurs croient que l'intégration croissante de la Chine à l'économie mondiale, de même que sa dépendance envers le pétrole et les matières premières importées, garantiront la "montée pacifique" de la Chine telle que promise par ses dirigeants à Beijing. Or ce sont ces mêmes intérêts commerciaux --et la nécessité de les défendre -- qui incitent la Chine à renforcer sa puissance militaire.
"Les océans sont vitaux pour nous. Si nos routes commerciales étaient rompues, notre économie s'effondrerait, dit Ni Lexiong, professeur chercheur à la Shanghai National Defense Institute (Institut national de la défense) et farouche partisan de la militarisation des eaux chinoises. Il nous faut une marine puissante."
Pour les stratèges chinois, la croissance économique rapide du pays -- qui sous-tend le maintien au pouvoir du Parti communiste -- est inextricablement liée à la modernisation de ses forces militaires. "Les enjeux sécuritaires liés à l'énergie, aux ressources, à la finance, à l'information et aux routes commerciales internationales se multiplient", indiquait le gouvernement dans un livre blanc sur la politique militaire de la Chine publié en décembre.
La Chine entend donc dépenser cette année près de 45 milliards US au chapitre de la défense, soit 18% de plus que l'année dernière. Elle s'est aussi mise à investir sans compter dans l'acquisition de vaisseaux russes dernier cri et la construction de navires.
Flotte plus modeste
À la longue, cette stratégie pourrait remodeler l'équilibre du pouvoir sur les mers, d'abord en Asie, puis dans le reste du monde.
Les dirigeants chinois affirment que le monde n'a rien à craindre d'une Chine mieux armée. La Marine de l'Armée populaire de libération de Chine -- appellation officielle de sa force navale -- est encore plus modeste et moins puissante que la marine américaine, forte de plus d'une centaine de bâtiments de combat de surface, dont 11 porte-avions.
La Chine possède 76 vaisseaux de combat de surface et aucun porte-avions, selon l'Institut international d'études stratégiques. La flotte chinoise n'a par ailleurs participé à aucun conflit naval contemporain.
Mais l'amélioration des équipements et de la portée d'intervention de la marine chinoise ont mis Washington, Tokyo et Taipei sur un pied d'alerte. Les États-Unis consolident leur présence en Asie, notamment en réaction aux efforts chinois. Ils encouragent aussi le Japon à accroître ses capacités militaires et navales, et ont même entrepris un rapprochement avec la Mongolie, au nord de la Chine.
Dépendance au pétrole
"Le renforcement de l'armée chinoise est significatif. Cela attire évidemment notre attention et celle du reste de la planète -- et avec raison", dit l'amiral Timothy J. Keating, commandant en chef des forces américaines dans le Pacifique.
Les préoccupations de la Chine sont principalement liées à sa dépendance envers le pétrole étranger. La Chine importe près de 50% du pétrole qu'elle consomme et dépend davantage du brut du Moyen-Orient que les États-Unis. Près de 72% du pétrole importé par la Chine provient maintenant du golfe
"Les océans sont vitaux pour nous. Si nos routes commerciales étaient rompues, notre économie s'effondrerait."
Persique et d'Afrique et est livré par des bateaux-citernes transitant par le détroit de Malacca-- un point d'étranglement stratégique entre l'île indonésienne de Sumatra et la Malaisie péninsulaire.
Le président chinois, Hu Jintao, a déjà fait allusion au "dilemme de Malacca" en discutant des risques planant sur les approvisionnements énergétiques de la Chine. Aucun navire chinois n'est stationné en permanence près du détroit.
La Chine dépend également d'une foule d'autres matières premières importées -- du cuivre au charbon en passant par le minerai de fer -- essentielles au développement de ce qui est désormais la quatrième économie de la planète. La côte est de la Chine est la plaque tournante de la grande majorité des échanges commerciaux maritimes. Une bonne partie des exportations est assurée par une marine marchande chinoise encore en plein essor.
"La mondialisation économique entraîne une mondialisation de la militarisation défensive", affirme Zhang Wenmu, professeur d'études stratégiques à l'Université d'aéronautique et d'astronautique de Beijing.
"La complexité et la multiplication des intérêts de la Chine font en sorte que les menaces pesant sur elle ne se sont pas atténuées, mais se sont au contraire accrues", écrivait l'an dernier M. Zhang dans China Security, une revue d'affaires militaires.
-Ellen Zhu a collaboré à la rédaction de cet article.
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De nouveaux objectifs
Depuis sa formation, l'Armée populaire de libération, appellation officielle des forces armées chinoises, s'est surtout employée à défaire les ennemis du Parti communiste et à participer à des combats le long de la frontière du pays.
Le rôle de la marine était plutôt modeste et se résumait essentiellement à la défense des côtes. Aujourd'hui, près de 13% des 2,3 millions de militaires chinois font partie des forces navales.
Si la Chine a d'abord développé sa puissance navale en prévision d'un éventuel conflit avec Taïwan, ses objectifs à long terme sont aujourd'hui plus vastes.
Selon des officiers de la marine, il est question de créer trois flottes océaniques: l'une patrouillerait au large de la Corée et du Japon, une autre sillonnerait le Pacifique ouest et la troisième protégerait le détroit de Malacca et l'océan Indien.
"Il faut que la marine soit en mesure d'intervenir partout où les intérêts économiques de la Chine sont en jeu, estime un officier supérieur de la marine. La Chine devrait stationner des forces navales en des points stratégiques, affirme l'officier, bien que cela risque sûrement de créer une situation de confrontation entre la Chine et les pays développés."
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