Ambrose Evans-Pritchard fait le point après trois mois de convulsions. Certes, le monde de la finance ne s’est pas arrêté de tourner, mais les dégâts sont déjà considérables, et la crise est loin d’être jugulée. Les 8 milliards de pertes enregistrées par Merrill Lynch ne sont qu’un coup de semonce annonciateur car ce sont des centaines de milliards de dollars qui vont partir en fumée.
cliquez pour agrandirEvans-Pritchard fait un état des lieux, et ce n’est guère brillant :
Merrill Lynch vient de passer 7,8 milliards de pertes, après avoir réévalué à la baisse son portefeuille de titres immobiliers, les désormais fameux CDO. A la suite de ce retour à la vérité sur la valeur de ses actifs, la banque est dans le rouge à hauteur de 3,5 milliards au troisième trimestre, et sa capacité d’accorder de nouveaux prêts en souffrira d’autant.
En Grande Bretagne, pour la première fois depuis la faillite de la Glasgow Bank en 1878, on a assisté à des scènes de panique à la Northern Bank, qui a du recevoir le soutien de la Banque d’Angleterre pour pouvoir rembourser les dépôts de ses clients affolés.
La Fed a baissé son taux directeur d’un demi point et a largement assoupli les règles définissant les actifs susceptibles d’être gagés par les banques qui ont recours à elle, en les autorisant justement à utiliser les CDO, objets de toutes les suspicions.
La Banque Centrale Européenne a injecté rien moins que 400 milliards d’euros pour tenter de desserrer la crise des liquidités qui menaçait d’asphyxier le système bancaire.
Aux Etats-Unis, le prix médian des biens immobilier a perdu 9%, passant de 262 000 dollars en mars à 238 000 en septembre.
Le nombre de prêts à taux variable, débutant par une période incitative à remboursement très bas avant de passer à une valeur nominale, et qui vont être réévalué à la hausse dans les mois qui viennent en étranglant les emprunteurs, reste considérable.
cliquez pour agrandirLe New York Times fait état d’un rapport du Congrès américain qui estime à 2 millions le nombre de défaillances d’emprunteurs d’ici fin 2008, bien supérieur à l’estimation de 500 000 que le gouvernement avait publiée en septembre.
Le montant des pertes sur les emprunts immobiliers pourrait atteindre 400 milliards, écrit le NYT.
Mais les pertes les plus considérables seraient celles subies par le patrimoine des foyers américains du fait de la baisse des prix dans l’immobilier. Sur une valorisation totale estimée de 21 000 milliards de dollars, même une baisse modeste de 5% représente déjà 1 000 milliards...
De son coté Evans-Pritchard juge que le Japon est en mauvaise posture. Les ouvertures de chantiers dans le bâtiment y ont plongé de 23% en juillet et 43% en août, dit-il.
Le Dollar US n’en finit pas de glisser, et pour la première fois depuis 1976, il vaut désormais moins que le dollar canadien.
Et, cerise sur le gâteau, la Banque d’Angleterre vient d’avertir dans sa dernière note conjoncturelle que la situation au Royaume Uni pourrait se dégrader sérieusement dans le secteur de l’immobilier locatif et se préoccupe de la tenue des marchés boursiers. « Les marchés financiers des pays développés sont exposés à de nouveaux chocs, soit sur les marchés du crédit, soit dans d’autres secteurs, » écrit la Banque d’Angleterre.
Selon Bloomberg, les banques anglaises pourraient avoir besoin de 350 milliards de dollars si elles ne parviennent pas à rétrocéder les emprunts qu’elles ont accordés.
Jusqu’à présent, les bourses ont a peu près résisté, et semblent rester à l’écart de l’inquiétude qui gagne le monde de la finance, mais « personne à la City ne croit que la crise soit terminée, » note Evans-Pritchard, qui ajoute que ses interlocuteurs sont tous persuadés au contraire qu’elle va s’amplifier, augmentant le « stress » subi par les entreprises du secteur.
Le crédit accordé aux entreprises est déjà devenu plus onéreux de 1,8% - pour celles qui peuvent en obtenir.
L’indice ABX, qui mesure la valeur des subprimes, ces titres adossés à des crédits immobiliers souscrits par des emprunteurs présentant peu - ou pas - de garanties, est passé de 72 en mai à 20 à la mi-octobre. (cf illustration ci-dessus)
L’ensemble de ces titres a été drastiquement révisé à la baisse, certaines classes d’actifs parmi les plus « sûres, » les BBB, perdant les 4/5 de leur valeur.
cliquez pour agrandirLes sommes en jeu sont considérables. Le total des crédits de type subprime et alt-a ( leurs proches cousins ) souscrits de début 2005 à début 2007 s’élève à 2 000 milliards. L’estimation de 100 milliards de pertes faite par Bernanke, le président de la Fed, au début de la crise semble bien loin du compte.
La confiance n’est toujours pas rétablie entre les banques. L’Euribor, le taux fixant les prêts interbancaires, reste supérieur de 0,62% au taux cible de la BCE, manifestant la défiance qu’ont les banques les unes envers les autres.
La titrisation, le processus par lequel les banques se débarrassaient de leurs créances en les faisant racheter sous formes de titres via des filiales spécialisées, les SIV, est désormais moribonde. En mars de cette année, 78 milliards d’euros de ces titres avaient été émis. En juillet, ce montant n’était plus que de 52 milliards, pour s’effondrer ensuite à 5,6 en septembre et seulement 2,6 en octobre.
Le papier commercial, ces effets de commerces à court terme gagés sur des actifs émis par les entreprises, est lui aussi fort mal en point, et l’activité de ce marché s’est contractée de 25%, soit 300 milliards.
C’est sur ce marché des capitaux que les SIV, ces filiales créées par les banques, trouvaient leur financement, en un roulement perpétuel d’ emprunts à court terme, sur 3 à 6 mois, pour investir sur le long terme.
Faute de préteurs sur ce marché du papier commercial, ces firmes doivent se retourner vers leurs maisons mères - les banques - ou vendre en catastrophe leurs actifs, pour pouvoir rembourser leurs créanciers.
C’est là qu’intervient le « super-conduit » ou « super-SIV » voulu par le Trésor US, qui a
rassemblé les quatre plus grandes banques de la place pour créer un fond de secours disposant de 75 milliards de dollars de capitaux. Il s’agit de venir en aide aux SIV pris dans la nasse, pour leur éviter de devoir procéder à des ventes dans l’urgence à n’importe quel prix pour trouver du liquide.
cliquez pour agrandirMais les professionnels restent dubitatifs. Le problème à l’heure actuelle, c’est justement l’opacité des valorisations, l’absence de marché. S’il est utilisé pour racheter à une valeur théorique les actifs douteux des filiales bancaires, le super-SIV jouerait alors le rôle d’un antalgique, retardant l’heure douloureuse des comptes réels - et des faillites.
Evans-Pritchard a interrogé Bernard Connolly, de la banque AIG, qui estime que le super SIV - joliment baptisé Master Liquidity Enhancement Conduit, n’est sans doute pas une bonne solution, mais que la gravité de la situation ne laisse pas le choix pour éviter une contagion qui pourrait entraîner une « dépression. »
Evans-Pritchard note que l’initiative du Trésor n’a en tout cas pas réussi à calmer les inquiétudes des financiers, et que le Dow Jones commence lui aussi à vaciller, avec une baisse de 500 points depuis le sommet atteint début octobre.
« Epargnez moi le cliché disant que les fondamentaux sont sains, » conclut-il. « Le crédit c’est la base de tous les fondamentaux. »
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Contre Info, avec Ambrose Evans-Pritchard : The sky has already fallen, Bloomberg, New York Times
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