A LA UNE
19 mars 2009 16:01
Poussée jusqu’à sa conclusion, la logique de mise en concurrence des
salaires délocalisables - c’est à dire pour le moment ceux de
l’industrie, mais également de plus en plus une partie des emplois de
service - est absurde et intenable. Intenable, parce que la disparition
progressive de la production industrielle se traduit forcément par
l’importation des biens qui ne sont plus fabriqués. En dehors du cas -
peu probable, convenons-en - d’une livraison à titre gracieux, la
question devient alors : comment financer ces importations ? Pour y
parvenir, cela nécessiterait un accroissement du volume et des prix des
services exportés à un niveau qui semble parfaitement irréalisable.
Absurde, parce que ce « modèle » économique aurait pour résultat à
terme de n’offrir au plus grand nombre que des emplois de services
sous-qualifiés et sous-payés, alors même que l’exigence de
qualification croît sans cesse. Voilà résumé en quelques mots
l’argument que développe ici l’économiste Dean Baker, co-directeur du
Center for Economic and Policy Research. Pourrions-nous nous inspirer
de cette analyse et en tirer la conclusion qu’il faille redévelopper la
production industrielle ? Mais, direz-vous sans doute, quid de la
pression internationale ? A partir du moment où la concurrence au moins
disant salarial s’est installée comme règle communément admise, nulle
nation ne peut s’en affranchir, sauf à risquer de voir rapidement son
niveau de prix compromettre la compétitivité de ses produits. C’est
bien le coeur du problème. Le jour où la « création de valeur » s’est
substituée à la création de richesse s’est enclenchée une mécanique
infernale dont nous subissons les désastreuses conséquences. Au sein
d’une société, la redistribution des richesses produites s’effectue de
deux façons. A travers l’échange marchand, bien sûr, mais aussi et de
façon moins comprise, à travers des mécanismes redistributifs internes
aux organisations. Un exemple évident de cette fonction redistributrice
est - était ? - donné par les services publics, dont les mécanismes de
péréquation assuraient à tous l’accès à des services pour un prix
souvent inférieur au coût unitaire réel de la prestation. Mais le même
type de répartition interne aux organisations existait aussi dans les
entreprises privées. Par exemple, l’agent de service à la cantine de
Renault pouvait bénéficier d’un salaire décent en raison des bénéfices
réalisés sur l’ensemble de l’activité. Avec l’instauration du règne de
l’actionnaire, cette logique de solidarité collective des organisations
a volé en éclat. La recherche à tout prix de la maximisation de la
valeur ajoutée a entraîné une décomposition des coûts et une
segmentation en centres de profits, avec pour conséquence immédiate
l’externalisation dans un premier temps, puis de plus en plus, la
délocalisation des activités les moins rentables. Résultat ? Un
appauvrissement des sociétés. Prenons l’exemple des services publics.
La concurrence sur les secteurs les plus rentables casse le mécanisme
redistributif et contraint les « opérateurs historiques » à abandonner
les activités insuffisamment rentables, à défaut d’une subvention de
l’Etat. Dans le privé, le résultat est le même. Au lieu de la
redistribution implicite intérieure à l’entreprise, on a désormais une
captation de la part du lion de la valeur ajoutée par l’actionnariat
mondialisé, et un appauvrissement relatif des salariés de l’entreprise
et de la sous traitance. Aux uns la substantifique moelle, aux autres
les miettes, avec pour résultat agrégé un appauvrissement de la
société, le capital étant « stocké » dans des actifs inflatés. Avant
que les recettes keynesiennes ne fassent un retour en force sur le
devant de la scène pour cause de catastrophe mondiale, les économistes
- et très récemment encore le gouvernement, pour refuser la relance par
la demande - les déclaraient mortes, en raison des « fuites ».
Augmenter les salaires n’aurait servi à rien, disaient-ils, sauf à
enrichir les pays exportateurs. Mais qu’est donc que le mécanisme que
nous venons de décrire si ce n’est une forme de fuite, justement ?
Fuite vers l’actionnariat, au détriment de la richesse produite et
partagée par une nation, en raison du chantage perpétuel au
désinvestissement - au retrait des capitaux - auxquels nous avons
accepté de nous soumettre. Ce capital délocalisé, libre de nuire et
d’exercer son incessante pression, a appauvri les sociétés. C’est bien
là que l’on a assisté à un « toujours plus » véritablement odieux, et
bien peu dénoncé par les émules de De Closet, soit dit en passant. Ce
qui était hier impossible, sortir en cavalier seul de ce jeu délétère,
pour cause de sanction immédiate des marchés, le deviendra-t-il
aujourd’hui ? En raison de son poids dans l’économie mondiale, l’Europe
aurait été en mesure d’instituer ses propres règles et de protéger ses
citoyens. Las, les traités fondateurs ont incorporé les tables de la
loi du Consensus de Washington, et leur très sourcilleuse gardienne, la
commissaire à la concurrence Neelie Kroes veille au respect du dogme.
Pourtant, l’ampleur des bouleversements et des remises en cause
auxquels nous assistons permet d’espérer. Encore faut-il dégager une
voie alternative. C’est ce à quoi nous tentons de contribuer. Lire.... »
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