30 octobre 2009 22:09
Qu’est-ce que la richesse ? Celle des nations, étudiée par Adam Smith,
ou la possession d’actions et actifs financiers, selon la conception en
vigueur aujourd’hui ? Tirant le fil de cette question faussement naïve,
l’économiste Charles M. A. Clark, qui se revendique de la tradition
chrétienne, montre combien cette réduction, opérée par les
néoclassiques, de la notion de richesse à celle d’actif, au détriment
de la préoccupation du bien être de l’ensemble de la société, est
lourde de conséquences. Dans des sociétés où l’industrie et
l’innovation technique ont fait sauter la plupart des verrous qui
limitaient la possibilité de produire des biens et des services, la
contrainte majeure est désormais celle de la répartition des fruits du
progrès humain. Les économies sont passées d’une pénurie structurelle
de l’offre à une insuffisance structurelle de la demande, soumise à la
nécessité de rémunérer le capital pour pouvoir se réaliser, et déployer
ainsi les potentiels de l’esprit et de l’inventivité humaine. Cette
problématique, centrale dans la réflexion de Keynes, a été simplifiée à
outrance par un keynésianisme dégénéré, que le slogan aujourd’hui vide
de sens « les investissements d’aujourd’hui sont les emplois de
demain » résume à lui seul. Keynes pensait quant à lui cette question
plus largement et voyait dans cette forme de malthusianisme qu’induit
l’arbitraire de la rareté du capital - condition sine qua non de son
pouvoir et de sa rémunération - une entrave dont il conviendrait de se
défaire grâce aux progrès de la science et de la technique permettant
d’envisager une transformation de la condition humaine. Hélas, cette
leçon pourtant essentielle qui voyait dans la seule accumulation du
capital - l’obsession de l’argent - un mal nécessaire des temps
archaïques, voué à être dépassé par le progrès et l’instauration de
plus hautes valeurs morales, a été oubliée. L’inefficacité intrinsèque
d’un mode de production qui a substitué la création de « valeur » pour
quelques uns à la recherche du bien être partagé, et qui requiert de
recréer sans cesse la rareté au milieu de l’abondance - au prix du
gaspillage des ressources - est aujourd’hui impensée. Et loin
d’invalider cette thèse de la rareté artificielle, la crise actuelle
montre à quel point l’accumulation à tout prix du capital et la
maximisation de ses revenus, dissociée et antagoniste de la recherche
du bien commun, peut engendrer d’effets pervers et balayer tous les
critères moraux. Outre Keynes, Charles Clark s’appuie également sur les
travaux de Thorstein Velben et souligne le rôle central des mécanismes
mimétiques par lesquels les couches favorisées s’assurent l’adhésion du
plus grand nombre en définissant par leurs usages la hiérarchie de ce
qui apparaîtra au reste de la société comme valorisant et désirable, se
garantissant du même coup la perpétuation d’un modèle de développement
inefficace et injuste. Une dernière remarque. Certains passages de ce
texte, quelque peu techniques, pourront sembler ardus aux lecteurs non
familiers avec les concepts économiques. Pour autant, les questions
soulevées ici nous paraissent fondamentales et mériter d’être abordées,
fût-ce au prix d’une certaine persévérance. Contre Info.
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