21 novembre 2011 18:20
L’heure du règlement : vers une décennie de désendettement. Matt King analyste à Citi Investment Research & Analysis, illustre en quelques graphiques le poids du surendettement accumulé par le secteur privé dans les pays développés durant la période récente et souligne les difficultés à venir, nées du ralentissement économique accompagnant l’inévitable processus de désendettement. ---- La focalisation actuelle sur les dettes publiques, avec pour sinistre corolaire des plans d’austérité qui se succèdent à un rythme accéléré au fur et à mesure que la panne de croissance dégrade les revenus des Etats, fait l’impasse sur l’aspect fondamental de cette crise majeure : le niveau insoutenable atteint par l’endettement du secteur privé des pays dits développés pendant la dernière décennie. Durant cette séquence, la plupart de ces pays ont connu une croissance en trompe l’œil, financée par une bulle de crédit, aujourd’hui irrécouvrable, qui contamine les bilans devenus obèses du système bancaire mondial. La situation où nous sommes révèle quelle a été la réalité des forces à l’œuvre, dans ce que d’aucuns présentaient comme un succès de la mondialisation. Tout d’abord, la financiarisation a été dopée aux stéroïdes par une déréglementation irresponsable du secteur bancaire, qui lui a permis de faire croitre au delà de toute raison la taille des bilans et les intermédiations transfrontalières. Les règles prudentielles classiques régissant les ratios bilans/fonds propres, censées limiter la croissance du crédit, ont été contournées par l’artifice d’une réassurance des risques autorisant l’augmentation de l’effet de levier, et par l’externalisation hors bilan via le mécanisme de la titrisation des prêts consentis. Cette croissance vertigineuse des crédits s’est accompagnée d’un boom tout aussi rapide des produits dérivés et du mécanisme pseudo-assurantiel des CDS. Parallèlement, cette machinerie prête à s’emballer a été alimentée par un afflux toujours accru de capitaux, nourri par plusieurs phénomènes. 1) les profits des pays exportateurs du nouveau « partage » mondialisé du travail et la rente des détenteurs de matières premières (énergie), qui ont réinvestis leurs surplus sous forme de crédits à leurs acheteurs (outre l’exemple évident du couple Chine-Amérique, c’est aussi le cas en Europe, où les surplus intra-européens ont été recyclés en dettes méditerranéennes, baltiques, celtiques et autres). 2) l’accumulation de réserves de précaution en devises des pays émergents qui avaient été frappés par la crise de 1997. 3) Des inégalités toujours croissantes dans les pays développés, se traduisant par la réinjection d’une part accrue des revenus sous forme de créance monétaire et non d’investissement productif. 4) Une démographie vieillissante, accroissant le poids relatif d’une épargne de précaution, elle aussi réinjectée sous forme de dette - directe : immobilier et consommation, ou indirecte : actions/dividendes et obligations - pesant sur les jeunes actifs. Dans des économies où la majeure partie du travail est soumise à la concurrence baissière des émergents, où les salaires sont perpétuellement compressés, c’est la surévaluation des actifs patrimoniaux qui a joué le rôle de courroie de transmission des flux monétaires vers l’économie réelle. Tant que de nouveaux entrants sont venus soutenir les bulles spéculatives, l’illusion de richesse qui se perpétuait permettait d’augmenter le poids de l’investissement immobilier et de la consommation à crédit des ménages. Ce type de « croissance », nourrie par un empilement continuel de richesse papier et de vraies dettes, est désormais terminé. Reste à solder le passif, c’est-à-dire dégonfler la bulle de créances et de dettes dont le secteur privé s’est grevé depuis dix ans et plus, faute de quoi les économies atones vont plonger dans une nouvelle spirale récessive. Mais pour ce faire, encore faudrait-il reconnaître l’existence de ce passif, et comprendre que la puissance publique est seule à même de piloter ce processus. Car les incantations sur la croissance extérieure et la compétitivité restaurée ne suffiront pas - chaque excédent commercial a pour contrepartie un déficit, et les candidats au suicide altruiste seront rares... et en régime de monnaie unique, accroître la compétitivité signifierait entrer dans une spirale morbide de baisse des salaires européens. Faute de surplus extérieurs, le verdict des équations de base de la comptabilité nationale est imparable : le désendettement du privé requiert un investissement public, c’est-à-dire en cette circonstance d’attaques spéculatives, une mobilisation de l’outil monétaire, une réduction de la capacité de nuisance des capitaux flottants, un contrôle accru sur l’activité du secteur financier. Aujourd’hui, seuls quelques analystes mettent l’accent sur cette dimension structurelle de la crise. Le débat public français, scandé par de mâles déclarations sur le courage de la rigueur, est à côté de la plaque - au risque que cet aveuglement nous entraîne vers la dépression. Contre Info. Lire.... »
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