Source : Le Monde.
Le communiqué est tombé mardi 3 juillet dans la matinée, avant l'ouverture des marchés. Bob Diamond, le directeur général de Barclays, a démissionné "avec effet immédiat". La veille, Marcus Agius, le président non exécutif du conseil d'administration de la banque britannique, avait renoncé à ses fonctions, espérant ainsi mettre un terme aux appels à la démission de M. Diamond. Avant de partir, M. Agius devra lui trouver un successeur.
Les deux hommes ont été emportés par l'affaire de manipulation des taux interbancaires entre 2005 et 2009 dont est coupable Barclays. L'amende de 290 millions de livres (360 millions d'euros) dont s'est acquittée l'institution pour mettre fin à des enquêtes des régulateurs britannique et américain n'a pas suffi.
Les pratiques frauduleuses de Barclays sont détaillées par le menu par les régulateurs dans deux rapports de 45 pages chacun. Ceux-ci se lisent comme des romans policiers, décrivant une large manipulation financière internationale. Il y est question de traders qui s'appellent entre eux "dude " ("mon pote"), de bouteilles de champagne promises en guise de remerciement et d'un petit cercle d'initiés, appartenant à au moins six banques, qui contournaient la réglementation en toute connaissance de cause.
ARGENT FACILE
La manipulation concerne le Libor et son cousin européen Euribor, qui sont des taux interbancaires extrêmement importants, parce qu'ils servent de référence à des produits financiers d'une valeur de 500 000 milliards de dollars. Chaque jour à 11 heures, l'Association des banquiers britanniques (BBA) et la Fédération bancaire européenne (FBE) demandent à un panel de banques à quel prix elles empruntent à leurs consoeurs. La moyenne des réponses permet de calculer le Libor et l'Euribor.
Les traders de Barclays ont compris qu'ils avaient une chance de gagner de l'argent facilement. La logique est simple : s'ils peuvent augmenter ou baisser de quelques points le taux que leur banque soumet à la BBA et à la FBE, ils pourront prévoir à l'avance l'orientation du Libor et parier sur les marchés... sans prendre trop de risque.
Seul problème : ce ne sont pas les traders, mais une autre division de la banque, celle de la trésorerie, dont le fonctionnement est en principe indépendant, qui est chargée de soumettre ces taux aux fédérations bancaires. Reste donc à convaincre quelques hommes et femmes de la trésorerie pour que le dispositif se mette en place.
Ce fut chose faite à partir de 2005. Pendant quatre ans, quatorze traders installés à New York, Londres et Tokyo demandent à leurs interlocuteurs compréhensifs de manipuler le Libor à cent soixante-treize reprises et l'Euribor à cinquante-huit reprises.
"TOUJOURS RAVI D'AIDER"
En témoigne un flot de courriels interne à Barclays. En février 2006, un trader demande : "Adorerais avoir [un taux à un mois] élevé, et si possible un [taux à trois mois] bas... Merci." Autre exemple, en septembre 2006 : "Salut les gars. On a une importante position sur le Libor à trois mois pendant les trois prochains jours. Est-ce qu'on pourrait garder le taux à 5,39 % pour les prochains jours ? Ça aiderait vraiment." Les réponses de la division trésorerie ne laissent aucun doute sur l'ampleur de la collaboration. "Toujours ravi d'aider, laisse-moi faire ça" (mars 2006). " C'est fait... pour toi, mon grand garçon..." (avril 2006).
Ce n'est que le début d'une affaire qui va bientôt concerner de nombreuses banques. Après avoir truqué le Libor, les traders de Barclays - par l'intermédiaire de l'un d'entre eux parti rejoindre la concurrence - mettent d'autres établissements financiers dans la combine, histoire d'avoir une force de frappe plus puissante. Les traders des différentes banques, après s'être mis d'accord entre eux, se chargent ensuite de convaincre leur département trésorerie.... En février 2007, un trader de Barclays se plaint auprès d'un confrère d'une autre banque. "Duuuude. Ça va pas votre type qui place le [taux à] trois mois à 34,5... Dis-lui de l'augmenter." Réponse immédiate : "Je vais lui parler tout de suite."
La fraude devient plus sophistiquée. Pour influencer l'Euribor du 19 mars 2007, il faudra quatre mois de palabres. "Cela a inclus des requêtes multiples et successives (...) par un ancien trader senior de Barclays", note le régulateur américain, la Commodity Futures Trading Commission, qui identifie au moins quatre banques dans cette affaire, sans les nommer.
Pour continuer à tisser leur toile, les acteurs de la manipulation de taux prennent des risques. Ainsi, en février 2007, alors qu'il hésite à mettre dans le coup un collègue d'une autre banque, un courtier de Barclays se fait menaçant : "Si tu sais comment garder un secret, je te filerai les informations. Si tu souffles un mot, je ne te dis plus rien. Garde ça pour toi, sinon, ça ne marchera pas." Entre initiés, le ton est jovial. "Dude. Je t'en dois une. Viens après le travail un jour et j'ouvre une bouteille de Bollinger", écrit à son confrère de Barclays le courtier d'une autre banque.
En septembre 2007, un cadre de Barclays s'inquiète des risques de conflits d'intérêts entre traders et division de trésorerie, et ce genre de messages commence à se faire rare. La pratique, elle, aura encore cours, de manière sporadique, jusqu'en 2009.
SON TAUX SOUS-ESTIMÉ
Avec la crise financière, un autre type de fraude émerge, toujours concernant le Libor. Courant 2007, Barclays est régulièrement la banque qui soumet à la BBA le taux interbancaire le plus élevé. Un signe que la banque britannique a quelques difficultés à se financer ? Pour rassurer des marchés qui commencent à être nerveux, Barclays choisit, à plusieurs reprises, de sous-estimer son taux.
En octobre 2008, peu après la faillite de Lehman Brothers, lors d'une conversation téléphonique, M. Diamond évoque le sujet avec Paul Tucker, désormais le numéro 2 de la banque d'Angleterre. Aujourd'hui, le premier dément avoir donné l'ordre de sous-estimer le taux interbancaire de Barclays, et le second dément avoir accepté de fermer les yeux.
Pourtant, juste après cet appel, "les personnes chargées de soumettre le taux de Barclays croyaient faussement qu'elles opéraient sur l'ordre de la banque d'Angleterre (...) de réduire ce taux", écrit le régulateur britannique dans son rapport.
Eric Albert
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