Mobilisation générale à Bercy sur Alcatel-Lucent
Par Solveig Godeluck et Guillaume de Calignon | 16/12 | 21:47
L'équipementier français a obtenu 1,6 milliard d'euros de crédit
bancaire. Le gouvernement veut éviter que les brevets du groupe ne
soient gagés.
Branle-bas de combat au gouvernement. Alors qu'Alcatel-Lucent a annoncé
vendredi avoir décroché un prêt de 1,6 milliard d'euros auprès d'un
consortium emmené par Goldman Sachs et Credit Suisse, Bercy s'active
pour éviter que cette ligne de crédit soit tirée. L'exécutif n'a qu'une
crainte : que les brevets d'Alcatel-Lucent ne finissent par tomber dans
l'escarcelle de banquiers étrangers, en particulier du très puissant et
influent Goldman Sachs, qui entretient des liens étroits avec les
pouvoirs publics.
Or le prêt est gagé sur cette propriété intellectuelle, dont la valeur a
été estimée à environ 5 milliards d'euros. Si l'équipementier, qui bat
de l'aile, ne parvenait plus à rembourser ses échéances, il pourrait se
trouver dépossédé de ces précieux brevets car les banquiers se
paieraient sur la bête. Sans en arriver à une telle extrémité, le fait
que la propriété intellectuelle soit gagée peut être gênant en cas de
cession d'actifs, voire de fusion avec Nokia Siemens Networks, l'autre
équipementier européen lui aussi en difficulté.
Le temps presse. La ministre Fleur Pellerin a jusqu'à la fin janvier
pour trouver une autre solution, car à cette date, les « roadshows »
organisés par Goldman Sachs et Credit Suisse seront terminés et
Alcatel-Lucent, qui est à court de liquidités (il doit rembourser plus
de 2 milliards d'euros au cours des trois prochaines années), n'aura
d'autre choix que de tirer sur ses lignes de crédit. En revanche, si
l'équipementier parvient à se financer autrement, l'offre des banquiers,
non consommée, ne sera plus valable... et Alcatel-Lucent gardera la
pleine propriété de ses brevets.
C'est la ministre déléguée à l'Economie numérique qui a tiré la sonnette
d'alarme. Elle a multiplié les contacts informels cette semaine pour
mettre d'accord Bercy, l'Elysée, Matignon et la Caisse des épôts. C'est
ainsi que le gouvernement a obtenu in extremis le délai d'un mois avant
l'activation du contrat de prêt et une réduction du périmètre des actifs
gagés. En effet, au départ, les banquiers souhaitaient prendre en
collatéral toutes les activités dynamiques et rentables du groupe :
l'activité entreprise, le sous-marin, et, surtout, l'IP, la technologie
sur laquelle Alcatel-Lucent mise son avenir, plus encore que sur l'accès
mobile.
Jusqu'à présent, le gouvernement est resté discret sur le sort
d'Alcatel-Lucent, qui a annoncé 5.500 nouvelles suppressions d'emplois
dont 1.350 en France. Sans remettre en question la gestion des
dirigeants Philippe Camus (le président du conseil) et Ben Verwaayen (le
PDG), il s'inquiète toutefois pour l'emploi et au-delà pour l'industrie
française. En effet, le centre de gravité d'Alcatel-Lucent se déplace
vers les Etats-Unis, où se trouvent à la fois les clients, les banquiers
et les actionnaires. D'ailleurs, si les brevets sont gagés par la
maison mère, le prêt syndiqué est souscrit auprès de la filiale
américaine Alcatel-Lucent USA. Alors qu'il y a six ans Alcatel avait
avalé Lucent, le risque d'une prise de contrôle inversée n'est pas
négligeable.
Deux pistes de solution
Trouver une autre solution sera néanmoins tout sauf facile. Selon nos
informations, Bercy travaille sur deux pistes. La première consisterait à
faciliter des cessions d'actifs supplémentaires (Alcatel-Lucent en a
déjà vendu pour 3,5 milliards d'euros en quatre ans), dans l'activité
entreprise ou dans les communications sous-marines. S'il s'agit du câble
sous-marin, il faudra l'accord de la direction du Trésor, car un
passage sous pavillon étranger peut poser un problème de sécurité
nationale. Le Fonds stratégique d'investissement (FSI) pourrait
participer à un tour de table en tant que minoritaire.
Deuxième piste, monter un consortium de valorisation des brevets, qui
pourrait accueillir des industriels américains. Pour Alcatel-Lucent, la
rentrée de cash serait immédiate. Et le groupe demeurerait
copropriétaire des brevets, continuant à tirer des revenus de leur
exploitation. De quoi donner de l'oxygène à un groupe que le
gouvernement juge stratégique