Pénurie de main-d'oeuvre en Europe de l'Est
Mise en ligne 24/08/2007 17h06
Joellen Perry à Varsovie, Stephen Power à Bratislava
The Wall Street Journal
Attirés par l'abondance d'une main-d'oeuvre qualifiée et bon marché,
les constructeurs automobiles se ruent depuis quelques années vers la
Slovaquie, en Europe de l'Est. Cette année pourtant, quand l'usine
locale de Kia Motors s'est retrouvée à court de personnel, elle a dû
recourir au publipostage et à des encarts dans les journaux pour
combler les postes à pourvoir.
Près de Bratislava, une région surnommée la "Detroit de l'Est" en
raison de la forte concentration d'usines de véhicules et de pièces
automobiles, sa rivale Volkswagen manque à ce point de maind'oeuvre que
chaque jour des navettes de l'entreprise vont chercher des ouvriers
habitant à 100 kilomètres de là.
"J'ai le poste le plus difficile au sein de la société, dit Jaroslav
Holecek, directeur des ressources humaines de l'usine Volkswagen de
Bratislava. Chaque jour des gens viennent m'annoncer qu'ils
démissionnent et s'en vont en Angleterre. Nous ne pouvons les retenir."
La croissance rapide et la forte émigration vers les pays d'Europe
occidentale plus riches risquent de miner les atouts vitaux des États
de l'ancien bloc soviétique qui ont joint l'Union européenne il y a
trois ans: une main-d'oeuvre abondante, qualifiée et bon marché.
La diminution du bassin de travailleurs disponibles est en train de
provoquer une hausse des salaires dans les grands secteurs industriels
et oblige les entreprises à aller toujours plus loin pour recruter des
ouvriers qu'elles sauront garder. L'UE voit aussi s'éroder l'un de ses
seuls arguments face à la concurrence asiatique -- la main-d'oeuvre bon
marché de son hinterland.
La lassitude face aux réformes ne fait qu'aggraver le problème. Dans
les ex-pays communistes, la transition vers l'économie de marché impose
depuis plus d'une décennie restrictions budgétaires et bouleversements
politiques.
Partout dans la région, la frustration des travailleurs va
croissant. Des gouvernements populistes cherchent à en tirer profit en
tentant d'annuler ou de bloquer les amendements apportés aux lois du
travail.
Au-delà de l'Europe de l'Est, la croissance économique mondiale est
si forte depuis trois ans que le taux de chômage a reculé presque
partout. L'Organisation de coopération et de développement économiques
rapportait récemment que le taux de chômage avait chuté sous la barre
des niveaux soutenables dans près des deux tiers de ses pays membres.
Alors que l'économie mondiale est aux prises avec des contraintes de
production, les banques centrales redoutent une hausse de l'inflation.
Tout un renversement de situation, puisqu'au tournant de la
décennie, on craignait une déflation. Dans de nombreux pays, les
entreprises tournent pratiquement à plein régime et, des équipements
aux locaux, elles manquent de tout.
Salaires plus bas
Les constructeurs automobiles, les manufacturiers d'appareils
électroniques et autres entreprises établies en Europe de l'Est ne sont
pas prêts à plier bagage. Avec des salaires moyens équivalant à 16% à
34% de ceux accordés dans des pays comme l'Allemagne, les pays de
l'Europe centrale et de l'Est risquent de rester pendant encore bien
des années des centres de production alléchants pour les manufacturiers
de voitures et de biens de consommation.
Mais la pénurie de main-d'oeuvre accroît les coûts des entreprises
et le pouvoir de négociation des travailleurs, et accélère la
transition de l'Europe de l'Est du statut de paradis de la production
manufacturière bon marché à celui d'économie de marché arrivée à
maturité.
Code du travail
En Slovaquie, les constructeurs automobiles et les autres principaux
employeurs ont eu de vifs échanges avec le premier ministre Robert Fico
dont le gouvernement entend restreindre l'embauche de personnel
temporaire et limiter les heures supplémentaires que l'on peut exiger
d'un salarié.
M. Fico, un populiste de gauche, estime qu'il est temps pour les
Slovaques ordinaires de récolter les bénéfices de la forte croissance
économique et qu'il faut "un code du travail qui offre plus de
protection". La pénurie de travailleurs qualifiés a obligé certains
employeurs à accorder de généreuses augmentations de salaire.
Les employeurs s'inquiètent aussi du vieillissement de la
main-d'oeuvre en Europe de l'Est. Le quart des travailleurs de Skoda,
en République tchèque, a plus de 50 ans - et cette proportion croît
rapidement.
La pénurie de travailleurs qualifiés est criante dans cette région
que bien des Slovaques surnomment la "Detroit de l'Est" et qui s'étend
dans un rayon de 200 kilomètres autour de Bratislava. La production
automobile devrait cette année croître de plus du double en Slovaquie
et atteindre plus de 500 000 véhicules. Dès l'an prochain, la
Slovaquie, un pays de 5,4 millions d'âmes, pourrait devenir le plus
important constructeur de voitures par habitant au monde, selon les
prévisions de J.D. Power Automotive Forecasting.
Malgorzata Halaba, à Varsovie, a collaboré à la rédaction de cet article.
* * *
Le "Detroit de l'Est"
Les constructeurs de véhicules et fournisseurs de pièces automobiles
rivalisent pour la maind'oeuvre au sein de la minuscule Slovaquie, en
voie de devenir le plus important constructeur de voitures par habitant
au monde.
Bratislava: L'usine de Volkswagen emploie 9 300 travailleurs. On y fabrique notamment la Polo et l'Audi Q7.
Trnava: L'usine de PSA Peugeot-Citroën emploie 3 400 travailleurs et peut fabriquer annuellement 300 000 voitures.
Zilina: L'usine de Kia a entamé sa production en 2006. Sa capacité de production est de 300 000 véhicules.
SOURCES: LES ENTREPRISES
* * *
Une forte croissance économique
Les investissements étrangers et l'explosion de la consommation
stimulent depuis quelques années la croissance en Europe centrale et de
l'Est.
L'an dernier, la Slovaquie a attiré des investissements étrangers
records de 4,2 milliards US. La Pologne, le géant économique de l'Est,
en a pour sa part reçu 13,9 milliards US. L'an dernier, la croissance
économique a atteint plus de 8 % en Slovaquie et 5,8 % en Pologne. La
croissance moyenne des 13 pays de la zone euro s'est élevée à 2,7 %.
Aujourd'hui, les banques centrales redoutent l'inflation. Si elles
réagissent en relevant les taux d'intérêt, cela risque de ralentir
l'expansion économique puisque les consommateurs et les entreprises
réfréneront leurs dépenses. La Banque nationale de Pologne a invoqué la
hausse des salaires pour justifier l'augmentation d'un quart de point
de son taux directeur, passé à 4,5% fin juin.
Il est peu probable que les multinationales renoncent aux projets
déjà planifiés, mais les économistes craignent que la pénurie de
travailleurs qualifiés ne compromette de futurs investissements.
"Cela pourrait devenir un obstacle à l'investissement étranger et à
la croissance économique", croit Jan Rutkowski, économiste à la Banque
mondiale et responsable de la région Europe et Asie centrale.
Des entreprises s'inquiètent, face à la pénurie de travailleurs
qualifiés, des conséquences du roulement de main-d'oeuvre sur la
qualité de leurs produits.
"Il est aujourd'hui beaucoup plus difficile de maintenir en activité
les chaînes de production", dit Nikolaus Pfister, directeur général de
SE Bordnetze-Slovakia, un manufacturier de Nitra, en Slovaquie, qui
fournit des faisceaux de fils à l'industrie automobile. Au cours de la
dernière année, le nombre de superviseurs a doublé dans ses ateliers.
"Nous embauchons du nouveau personnel chaque semaine, dit-il. Il nous
faut vérifier leur travail."