la tribune 18 octobre 2007
Du krach de 1987 au subprime de 2007, d'une crise à l'autre
Comme un bon roman d'Alexandre Dumas, la vie de Wall Street est pleine de rebondissements. Du krach d'octobre 1987 à la crise des prêts hypothécaires de 2007, la finance américaine s'est toujours dopée au crédit facile
Première partie 1987-1998 : l'invention du "Put Greenspan"
Il y a 20 ans, le 19 octobre est tombé un lundi. Et le Dow Jones a perdu 508 points au cours d'une séance complètement folle pour terminer à 1738,74 point soit une baisse de 22,6%. Est-ce que c'était prévisible ? Bien sûr mais ceux qui tentaient en vain d'avertir des risques du marché passaient soit pour des doux dingues, soit pour des oiseaux de mauvais augures. Michael Gayed fait partie du lot. A l'époque, il était analyste technique chez Merrill Lynch et la hausse des taux d'intérêt à long terme le préoccupait. Il n'avait de cesse de prévenir ses pairs du danger de la situation mais leur réponse était invariable : "buy, buy, buy".
Pour les plus optimistes, le marché haussier des actions avait commencé en 1982 et il ne pouvait que continuer. A leur décharge, les années précédentes avaient pu justifier la hausse de Wall Street. En premier lieu, l'inflation avait diminué, grâce à la politique très restrictive de Paul Volcker à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt. Cette politique monétaire était en train peu à peu de s'assouplir, permettant un repli des taux d'intérêt à long terme et une diminution de la charge financière des entreprises.
Dans le même temps, et c'est là le deuxième point, ces entreprises ont entamé plusieurs actions pour contrôler, sinon réduire, leurs coûts, améliorer leur productivité et la qualité de leur produit. On peut même dire que la révolution high tech américaine, qui avait commencé sur les deux côtes américaines, en Californie et au Massachussets, s'était bien propagée sur l'ensemble du territoire, permettant une amélioration du compte de résultat et du bilan des sociétés.
Cependant, les ordinateurs ont été rendus en partie responsable du krach d'octobre 1987, ou, plus précisément, leur emploi dans des stratégies d'arbitrage actions contre indice à terme (achat de l'indice et vente simultanée des actions qui le constitue). C'est peut-être vrai mais cela n'a jamais été réellement prouvé et pour contenir ces programmes, la bourse de New York, en accord avec la Securities and Exchange Commission (SEC) a mis en place divers coupe-circuits.
La psychologie des marchés explique sans doute mieux ce qui s'est passé il y a vingt ans. On craignait déjà les déficits jumeaux américains (budgétaire et commercial), la politique fiscale expansionniste de Ronald Reagan, l'inflation et la hausse des taux d'intérêt à long terme. Chaque adjudication du trésor américain était regardée comme le lait sur le feu. On se demandait si les fabuleux investisseurs japonais allaient daigner, encore une fois, financer le mode de vie de l'Oncle Sam.
Face à la crise, la Réserve Fédérale est intervenue en ouvrant les vannes de la liquidité (c'était la une de La Tribune un ou deux jours après la crise) et en commençant une politique de baisse des taux à court terme. Ce faisant, les richesses qui avaient été perdues sur les actions ont pu se reconstituer sur les obligations. La baisse des taux courts créant des conditions de financement favorable, les investisseurs ont pu acheter du papier obligataire à long terme, provoquant la hausse des cours et donc la baisse des rendements.
La Réserve Fédérale a inauguré, sans doute sans le savoir, ce qu'on a appelé plus tard le "Put Greenspan" du nom du célèbre gouverneur : c'est une option de vente virtuelle qui permet à un spéculateur de se refaire en cas de crise financière grâce à l'intervention de la Réserve Fédérale (il n'existe pas encore de "Put Trichet"). Au vrai, la Réserve Fédérale a été forcée de poursuivre sur la voie de l'allégement monétaire. Les ferments de la récession commençaient à produire leurs effets et les Etats-Unis se sont enfoncés dans une grave crise bancaire liée à l'effondrement du marché immobilier. Une multitude de banques et de caisse d'épargne avaient emprunté à court terme en rémunérant grassement les dépôts pour prêter à long terme. La compétition pour obtenir ces fonds et la hausse précédente des taux de marché à court terme a eu un effet de ciseau redoutable.
Confrontée à une telle situation, la Réserve Fédérale ne pouvait que donner des liquidités au système bancaire. Dans le même temps, l'Administration Bush (le père de l'actuel président) avait mis en place la Résolution Trust Corporation, une super-entreprise pour reprendre les banques en faillites. Transférée à un autre organisme en 1995, elle aura coûté un peu plus de 80 milliards de dollars au contribuable américain et démontré un principe fondamental de la finance : la mutualisation des pertes et la privatisation des profits.
Cependant, les travaux de l'Administration Bush aux Etats-Unis mais aussi à l'étranger (création des Brady Bonds qui permettent aux pays émergents de retrouver du financement privé) portent leurs fruits. Ils permettent à l'Administration Clinton de réussir un beau doublé à la présidence sur fond de croissance économique apparemment saine.
Bien sûr, il y aura d'autres alertes sur les marchés financiers mais elles se produiront ailleurs : au Mexique en 1994, en Asie en 1997, et en Russie en 1998. Certains investisseurs occidentaux souffriront mais ces crises seront contenues. Le plus grave épisode reste celui du fonds Long Term Capital Management (LTCM) qui en 1998 a perdu 4,6 milliards de dollars en moins de quatre mois. Plusieurs banques se sont associées pour reprendre les positions du fonds et les liquider dans l'ordre. Et puis, on ne s'en faisait pas trop : on connaissait l'existence du "Put Greenspan".
Deuxième partie 1998-2007 : La bulle Internet explose mais ce n'est rien en regard des CDO
Vingt ans après le krach d'octobre 1987, on se demande si le mois d'octobre 2007 apportera un lot de baisses dramatiques, de disparition de liquidité, de stress financier et d'intervention de diverses banques centrales. S'il devait perdre 22,6% en une seule journée, le Dow Jones devrait décliner de plus de 3000 points. Les récentes alertes sur les marchés financiers ne l'ont pas secoué à ce point. Elles ont pourtant été nombreuses. On peut citer l'explosion de la bulle Internet qui a été remarquablement bien absorbée. Pendant le gonflement de cette bulle, on ne valorisait plus les sociétés sur la base de leur profit mais sur le nombre des futures visites de leur site web. Bref, on capitalisait les pertes. Plus tard, Amaranth, un fonds spécialisé sur les matières premières, a disparu en l'espace de trois mois.
Si l'effondrement des titres technologiques en 2001-2002 n'a pas eu d'effets sévères, c'est que le "Put Greenspan" a encore bien fonctionné. En abaissant le niveau cible des fonds fédéraux jusqu'à 1%, la Réserve Fédérale a créé les conditions d'une formidable expansion de la liquidité. Celle-ci s'est déversée sur plusieurs classes d'actifs dont l'immobilier, les matières premières et la bourse au travers des fonds LBO (leveraged buyout, rachat d'une entreprise en utilisant l'endettement). L'immobilier a été particulièrement inventif. Les banques commerciales ont trouvé le moyen de gonfler leur commission en titrisant leur créances hypothécaires puis en les reconditionnant selon plusieurs tranches de risques. Ce sont les fameux CDO ou "collaterized debt obligation" qui ont tant fait parler d'eux pendant l'été.
Le propre d'un CDO est de fractionner puis de transférer le risque d'un actif financier à divers types d'investisseurs : ceux qui sont prêts à supporter plus de risques sont plus rémunérés que ceux qui ne veulent qu'une exposition minime. Cette structure de tranche, qui était supposée être parfaitement étanche, n'a pas supportée la montée des créances douteuses.
Cette crise du crédit est beaucoup plus grave que l'effondrement d'un fonds comme LTCM ou comme Amaranth dans les matières premières. Du reste, les dirigeants des grandes banques commerciales américaines (Citigroup, Bank of America et J.P. Morgan Chase) en semblent convaincus puisqu'ils veulent mettre au point un système de fonds tampon capable de garantir la liquidité sur 100 milliards de dollars de titres garantis par divers actifs (immobilier, carte de crédit...).
La situation est piquante. Ces grandes banques, Citigroup en tête, ont imaginé pour leur propre compte et celui de leurs clients de multiples véhicules d'investissements structurés (SIV, Structured Investment Vehicule). Leur objet était d'acheter des titres de crédit structurés (CDO) et de financer ces achats en empruntant sur les marchés. L'assèchement du marché des titres de créances hypothécaires a coupé le financement de ces SIV. Aujourd'hui, l'idée est de créer une structure spéciale, baptisée Master Liquidity Enhancement Conduit (MLEC) qui devrait racheter les titres détenus par les SIV. C'est en quelque sorte un super-SIV qui, pour attirer les investisseurs, bénéficierait de la garantie des banques sur ses actifs. Le montant de 100 milliards de dollars représente le tiers ou le quart des actifs détenus par les SIV des banques. L'idée est d'éviter une vente massive de titres pouvant provoquer une nouvelle panique.
Le "Put Greenspan", repris par Ben Bernanke, le nouveau gouverneur de la Réserve Fédérale, fonctionnera-t-il à nouveau ? Ce n'est pas sûr. "Les conditions ne sont pas les mêmes qu'en octobre 1987, note Michael Gayed, qui est aujourd'hui directeur de la stratégie d'investissement d'Americap Advisers. Le risque d'inflation est important comme en témoigne la hausse de diverses matières premières. La Réserve Fédérale sera tentée d'abaisser les taux pour tenir compte de la crise immobilière mais elle doit aussi penser à l'inflation". Et l'environnement économique ? "La guerre en Irak est un facteur expansionniste qui écarte l'hypothèse d'une dépression mais on reste sur la base d'une politique fiscale irresponsable", assure Michael Gayed. Et le dollar risque de faire les frais d'une telle politique.
Pascal Boulard
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