ancienne note de 2008 mais qui est toujours d'actualité
rubrique dossier des marchés
YANNICK ROUDAUT | JDF HEBDO | 28.06.2008 | Mise à jour : 19H46
L'or noir ne cesse de monter. En un an, son cours a doublé, passant de
70 dollars le baril de WTI (qualité américaine) à près de 140 dollars.
Dans le même temps, le dollar a sensiblement reculé contre les grandes
devises, et plus particulière contre l'euro. La parité euro/dollar est
passée de 1,35 avant l'été 2007 à près de 1,60 ces dernières semaines.
Faut-il en déduire que la baisse du dollar et l'envolée des prix du
pétrole sont liées ? La question divise les économistes. S'il n'existe
pas de corrélation parfaite entre les cours du pétrole et l'évolution
monétaire, le relation ne peut être ignorée. Pour les représentants de
la Réserve fédérale de Dallas, le lien pétrole-dollar ne fait aucun
doute. Dans une récente étude, la banque texane explique qu'un dollar
fort permet de freiner la consommation d'or noir. Selon ses calculs, si
la devise américaine était aujourd'hui à son niveau de début 2001 (0,95
euro pour 1 dollar), le cours du baril de pétrole vaudrait environ 20
dollars de moins ! Dans une récent étude consacrée à la question, les
spécialistes de Lehman Brothers soulignent que la corrélation est forte
depuis 2003, et particulièrement importante ces deux derniers mois.
Selon leurs calculs, depuis 2003, une baisse de 10 % du dollar équivaut
à une appréciation de 13 % sur le WTI.
L'effet pétrodollars
Les pays exportateurs de pétrole bénéficient d'importantes entrées
monétaires, libellées en dollars. Toute leur production vendue est
réglée en billets verts. Ce sont les fameux pétrodollars. Jusqu'au
début des années 2000, ces pays réinvestissaient l'essentiel de ces
pétrodollars sur le sol américain ou en actifs libellés en dollars. La
devise américaine bénéficiait donc d'un soutien naturel. Depuis
quelques années, ces pays producteurs de pétrole cherchent au contraire
à diversifier leurs actifs. C'est la raison pour laquelle ils
multiplient les participations industrielles par leurs fonds
souverains. Ils sont également acheteurs d'euros sur les marchés des
changes. Ces opérations viennent soutenir l'euro et affaiblir le
dollar. Et plus le dollar baisse, plus ces pays sont tentés de laisser
filer les cours de l'or noir à la hausse pour préserver leur pouvoir
d'achat en euros.
C'est la quadrature du cercle : plus le dollar s'affaiblit, plus les
pays producteurs cherchent à compenser leurs pertes de change par la
hausse du cours du baril. Par ce jeu du chat et de la souris, billet
vert et or noir se trouvent ainsi inversement corrélés.
Effets chinois et d'arbitrage
Grande consommatrice de pétrole, la Chine est également soucieuse de
diversifier ses 2.000 milliards de dollars de réserve de change tirés
de ses exportations. Il ne s'agit plus de « pétrodollars », mais de «
sinodollars ». Le principe est le même. Les industriels chinois
achètent des barils en masse, contribuant à soutenir les cours de l'or
noir, tandis que la Banque centrale de Chine a tendance à convertir une
partie de ses dollars en euros, dans un souci de diversification.
Face à cette érosion progressive du billet vert et à l'envolée des
matières premières, les arbitragistes, les spéculateurs sont eux aussi
plus enclins à délaisser le dollar pour investir sur les actifs qui
montent : le pétrole et l'ensemble des matières premières en général.
D'autant que si l'inflation s'accélère au cours des prochaines années
cela sous-entend que les cours des matières premières vont continuer à
monter. Il est donc logique d'in-vestir sur l'actif montant. Ces
spéculateurs préfèrent chevaucher l'hydre inflationniste en achetant du
pétrole, tout en se délestant de leurs dollars, alimentant un peu plus
la corrélation.
Des phénomènes économiques
L'évolution d'une monnaie ne peut cependant être entièrement liée à
l'évolution d'une matière première. La corrélation est certes
flagrante, mais elle ne peut être suffisante à expliquer
l'affaiblissement continu du billet vert depuis 2002 et l'envolée du
baril. Au-delà de l'effet monétaire, le baril est soutenu par les
craintes d'un déséquilibre entre l'offre et la demande (le peakoil
est-il imminent ?) ainsi que par des inquiétudes géopolitiques liées au
dossier iranien.
De son côté, le billet vert pâtit des inquiétudes relatives à la
situation budgétaire américaine et à l'essoufflement de son économie.
Il pâtit aussi d'une politique monétaire caractérisée par des taux
d'intérêt faibles (taux des Fed funds à 2 %, contre 4 % en Europe). Et
ce n'est pas l'éventuelle hausse des taux par la BCE le 3 juillet qui
risque d'inverser la tendance. Au contraire. Le couple « dollar
faible-pétrole cher » est encore loin de la rupture.
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