La suprématie des Etats-Unis et du dollar est finie. Place à un système financier multipolaire
lundi12 septembre 2011 www.letemps.ch
La suprématie des Etats-Unis et du dollar est finie. Place à un système financier multipolaire Un livre raconte comment, depuis que le soleil s’est couché sur l’Empire britannique et que la livre a perdu de sa superbe, la devise américaine a régné sans partage jusqu’à son inéluctable déclin et comment l’euro et le yuan se tiennent en embuscade.
Un Privilège exorbitant arrive à point nommé. «La guerre de monnaies», expression inventée par Guido Mantega, ministre brésilien des Finances, bat son plein. Ce printemps, il dénonçait les Etats qui pratiquent la dévaluation compétitive pour promouvoir leurs exportations. Concurrence déloyale, mais pas illégale. De mauvaise humeur lui aussi, le premier ministre russe Vladimir Poutine vient de traiter les Etats-Unis de «nation parasite». Selon lui, en laissant le dollar se dévaluer, Washington réduit subrepticement le montant et le service de sa montagne de dette extérieure, et tant pis pour les créanciers.
C’est dans ce contexte précis où la politique monétaire est devenue une puissante arme pour défendre ses intérêts – la Banque nationale suisse vient d’en donner la preuve – que l’économiste américain Barry Eichengreen présente, dans Un Privilège exorbitant, une perspective historique du dollar américain. Il raconte sa création, son développement, sa montée en puissance jusqu’à devenir la monnaie dominante et enfin son déclin déjà bien avancé.
«Un privilège exorbitant», Barry Eichengreen n’a pas inventé cette formule. Il l’emprunte au général Charles de Gaulle qui, le 4 février 1965, dénonçait déjà la domination de la monnaie américaine sur l’économie mondiale. L’économiste américain n’hésite par ailleurs pas à utiliser des références hollywoodiennes. C’est ainsi qu’il rappelle comment, dans le célèbre film allemand Les Faussaires qui se déroule dans les années 40, un rescapé des camps de concentration réapparaît avec une valise bourrée de billets verts (et non pas des francs ou des livres) et s’apprête à les miser sur les tables de jeu à Monte-Carlo.
Son message: le dollar est un vainqueur de la Seconde Guerre mondiale et, dès lors, son ascension sera irrésistible. En Asie, en Afrique, en Amérique du Sud, ce sera la monnaie d’échange non seulement pour le commerce, mais aussi pour payer les rançons, faire libérer des otages, financer les narcotrafiquants, verser les dessous-de-table ou décrocher des contrats. Le dollar est roi.
Un roi devenu tout-puissant à partir d’août 1971 lorsque la convertibilité avec de l’or est suspendue. D’autant plus qu’entre-temps, le soleil s’est couché sur l’empire britannique; Londres n’est plus la capitale de la finance mondiale et la livre sterling a perdu de sa superbe depuis longtemps. Au profit du dollar.
Mais voilà, la roue de l’histoire ne s’arrête jamais et le dollar va descendre du haut de son piédestal. Dès les années 70, l’histoire du billet vert se confond avec celle des Etats-Unis, voire avec celle de l’économie mondiale.
Barry Eichengreen raconte comment la méfiance s’est installée durant les années Carter lorsque le secrétaire d’Etat au Trésor d’alors, Michael Blumenthal, dans le but de combattre l’inflation, devait prôner la dépréciation du dollar pour aider les exportations américaines. Le dollar se déprécia. Les pétromonarchies du Golfe dont les revenus étaient rabotés commencèrent à agiter la perspective de l’utilisation d’une autre devise pour fixer le cours du brut. Les Européens, voyant leurs monnaies en hausse face au dollar et leurs exportateurs au supplice, réagirent. Scénario somme toute pas très différent de celui de 2011.
Le monde a changé à une vitesse foudroyante durant la décennie écoulée. La zone euro, un nouvel espace ayant une monnaie unique, a vu le jour. Malgré ses difficultés, elle offre une réelle concurrence à son partenaire transatlantique. Puis, il y a l’Asie et plus particulièrement la Chine, devenue l’atelier du monde. Barry Eichengreen aborde les conséquences de la montée en puissance de ces deux pôles économiques. La zone euro, en dépit de ses difficultés récentes, exporte deux fois plus que les Etats-Unis. L’euro représente 37% de volumes d’opération sur le marché des changes, 31% de l’ensemble des émissions obligataires internationales ou encore 28% des réserves de change.
Et le yuan? La monnaie chinoise se profile aussi comme un concurrent. Petit à petit, elle fait son entrée sur les marchés financiers, en Asie de l’Est pour commencer. Du reste, Pékin ne cache plus ses ambitions d’en faire une monnaie internationale.
Le constat posé, Barry Eichengreen s’interroge sur l’avenir du dollar. Myret Zaki, rédactrice en chef adjointe au magazine économique Bilan, s’est posé la même question dans La Fin du dollar paru en avril 2011 chez Favre. Alors que pour celle-ci nous assistons à la fin de l’ère dollar qui dure depuis la Seconde Guerre mondiale, l’auteur américain se veut plus nuancé. Il affirme qu’une nation qui ne croît pas perd de sa puissance politique et stratégique et que la force de son argent dépend avant tout de sa croissance. C’est le cas des Etats-Unis dont l’économie est plombée par un surendettement massif et un déficit budgétaire colossal. Il estime donc normal que la suprématie du dollar soit contestée. Mais cela n’est pas dramatique. Barry Eichengreen préconise un système financier multipolaire. Tout comme se met en place, depuis la fin de l’ère Bush à la Maison-Blanche, un système politique multipolaire.
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