La
politique monétaire des USA est piégée entre deux nécessités
inconciliables : attirer les capitaux étrangers et prévenir la
récession. Pour attirer les capitaux nécessaires au financement du
déficit il faut augmenter les taux d’intérêt. Pour prévenir la
récession il faut les baisser. La Fed a choisi de baisser nettement les
taux. Donc le dollar baisse. Avec quels désordres en perspective ?
Analyse d’Ambrose Evans-Pritchard.
Par Ambrose Evans-Pritchard, The Telegraph, 21 septembre 2007
L’Arabie Saoudite a pour la première fois refusé de
répercuter la décision de la Fed en baissant son taux d’intérêt, ce qui
signale que le royaume se prépare à mettre un terme à la parité du
riyal avec le dollar. Cette décision pourrait marquer le début d’un
abandon généralisé du dollar au Moyen Orient.
« Il s’agit d’une situation très dangereuse pour le
dollar », alerte Hans Redeker, responsable du marché des devises à la
BNP Paribas.
« L’Arabie Saoudite détient 800 milliards de dollars
dans ses fonds d’investissements, et la région en son ensemble, 3 500
milliards. Ils font face à une menace inflationniste, et ne veulent pas
importer une politique de taux d’intérêt conçue pour faire face à la
menace de récession aux USA. »
Riyad, qui est un allié proche des USA, s’est efforcé
de maintenir la parité, mais celle-ci est désormais déstabilisante pour
son économie.
La baisse spectaculaire du taux d’intérêt à 4,75%
décidée par la Fed a déjà provoqué la baisse la plus forte depuis 15
ans du dollar face aux principales devises , et il a atteint son cours
le plus bas contre l’euro en franchissant les 1,40 dollars.
Il existe désormais un risque croissant que les
investisseurs se détournent du marché des bons du trésor US. Les
dernières données publiées par le gouvernement américain révèlent un
effondrement de leur demande, baissant de 97 milliards à 17 milliards
en juillet.
Le danger, c’est que ce mouvement puisse s’accélérer,
car désormais la différence de rendement des investissements entre les
USA et le reste du monde s’amenuise. Dans ce cas, les USA seraient
privés des capitaux étrangers dont ils ont besoin pour financer leur
déficit dont le montant cet année est estimé à 850 milliards soit 6,5%
du PIB.
M. Redeker indique que les investisseurs étrangers se
sont graduellement retirés du marché des bons US à long terme, ce qui
rend le dollar dépendant des marchés sur le court terme. Les fonds
étrangers ont financé de l’ordre de 25 à 30% du marché du crédit à
court terme US ces deux dernières années.
« Ils sont disposés à investir de l’argent lorsque les
taux sont bien rémunérateurs, mais pourquoi encourir des risques
lorsque les circonstances évoluent notablement ? Nous pensons qu’un
dollar à 1,50 face à l’euro n’est pas du tout inenvisageable au premier
trimestre 2008, » prévient-il.
« Cela ne ressemble pas du tout à la situation en 1998,
lorsque la crise était en Asie, mais ou l’économie des USA était
florissante. Cette fois-ci ce sont les USA le problème. »
M. Redeker considère que le plus grand danger pour le
dollar c’est que la chute des taux d’intérêts déclenchera à un certain
niveau l’apparition d’un « carry trade » [1] inversé, entraînant la sortie d’un flot de capital des USA vers le Japon.
Jim Rogers, le roi du marché des matières premières,
ancien partenaire de George Soros, pense que la Fed a joué avec le feu
en baissant si brutalement les taux à un moment ou le dollar est déjà
sous pression.
Le risque, c’est que cette fuite des bons US exerce une
pression sur les rendements à long terme qui forment le prix de base
pour le cout du crédit immobilier, plongeant ainsi ce marché dans une
crise encore plus marquée.
« Si Ben Bernanke commence à faire tourner la planche à
billets encore plus rapidement qu’à l’heure actuelle, nous allons avoir
une récession sérieuse. Le dollar va s’effondrer, le marché des bons du
trésor va s’effondrer, il va y avoir tout un tas de problèmes, » dit-il.
La réserve fédérale fait cependant le calcul que le
risque d’un ralentissement de l’économie est désormais si élevé qu’il
surpasse celui de la baisse du dollar.
L’ancien directeur de la Réserve Fédérale, Alan
Greenspan, a déclaré cette semaine que les prix de l’immobilier
pourraient connaître une baisse à « deux chiffres, » avec l’aggravation
de la crise des Subprime, amenant les ménages à réduire grandement
leurs dépenses.
Pour l’Arabie Saoudite, la parité avec le dollar est
clairement devenue pénalisante. L’inflation a augmenté de 4% et la
mesure de masse monétaire M3 s’est accrue de 22%.
La pression est encore ressentie plus durement dans
d’autres états du Golfe. Les Emirats Arabes Unis ont une inflation de
9,3%, un record depuis 20 ans, et au Qatar elle atteint 13%.
Le Kowait a été le premier émirat pétrolier a
abandonner la parité avec le dollar en mai, décision qui lui a permis
de maitriser l’accroissement de sa masse monétaire.