A peine sauvé des eaux, Eurotunnel fait saliver
Magazine Challenges | 07.06.2007 |
Transport : Industriels et fonds d'investissement lorgnent la société,
transformée soudainement en pépite par la réduction de sa dette.
Eurotunnel est sauvé , je remercie vivement les actionnaires qui se
sont massivement mobilisés . » Jacques Gounon, le patron d'Eurotunnel,
a réussi son pari. Du 1 er au 14 juin, l'offre publique d'échange
permettant de restructurer le capital du groupe est rouverte, mais,
déjà, 87, 3 % des titres en circulation ont été apportés à l'offre. Dès
la reprise de la cotation, le 29 mai, l'action s'est enflammée, au
point de susciter des mises en garde de l'Autorité des marchés fi
nanciers et de l'Association de défense des actionnaires minoritaires (
Adam ). L'évolution un peu folle du cours a des causes techniques,
comme l'étroitesse du marché avant la conclusion définitive de
l'opération d'échange. Mais elle répond aussi à une réalité : le nouvel
Eurotunnel a désormais tout d'une belle mariée. Après l'OPE, place à
l'OPA ? « Eurotunnel va pouvoir accueillir de nouveaux partenaires.
C'est un ouvrage unique. Je ne vois pas pourquoi une aussi belle
concession ne séduirait pas, estime Gérard Augustin-Normand, patron de
la société de gestion Richelieu Finance et qui détient 4 %
d'Eurotunnel. Il faut travailler à la constitution d'un actionnariat
stable, et je n'ai pas de doutes sur le fait que beaucoup s'y
intéresseront . »
Toutes les Analyses
Une concession attractive
Dans un marché qui aujourd'hui valorise particulièrement les sociétés
générant un cash récurrent et les concessions, des opérateurs
industriels comme des fonds d'investissement paraissent des candidats
bien placés pour une reprise d'Eurotunnel. Parmi les opérateurs, tous
les grands d'Europe pourraient étudier le dossier : le français Vinci,
l'italien Atlantia ( ex-Autostrade ), l'espagnol Abertis, ou
l'ambitieux portugais Brisa Auto-Estrada, dont le développement local
est bridé par le gouvernement. « Le problème , c'est que toutes ces
sociétés sont plus ou moins occupées aujourd'hui à digérer leurs
dernières acquisitions et ne disposent pas forcément des 10 milliards
d'euros nécessaires au rachat d'Eurotunnel », estime Arnaud-Cyprien
Nana Mvogo, analyste chez Aurel Leven Securities.
D'hypothétiques alliances
Côté fonds, la liste des candidats potentiels est aussi bien fournie. «
Il y a, bien sûr , les grands fonds classiques , les KKR et Cinven,
poursuit cet analyste. Ils ont les liquidités , la capacité d'emprunt ,
et les moyens d'embaucher les équipes ad hoc. » Ou encore les fonds
spécialisés dans les problématiques de concession : « Celui de Goldman
Sachs et celui de la banque australienne Macquarie , qui d'ailleurs
s'étaient déjà intéressés au dossier, ainsi que la banque
d'investissement américaine MBIA, un établissement basé dans le
Connecticut qui avait déjà travaillé sur Eurotunnel », rappelle
Arnaud-Cyprien Nana Mvogo. D'autres avancent l'hypothèse d'un attelage
entre un « opérateur industriel » et un financier. Il y a eu des
précédents. Comme l'alliance d'Eiffage avec Macquarie dans les
autoroutes APRR, ou celle de l'espagnol Abertis avec un consortium
composé d'Axa Private Equity, la CNP, Prédica et la Foncière de
participations pour gérer un autre réseau autoroutier, la Sanef. Quoi
qu'il en soit, explique Colette Neuville, présidente de l'Adam et
administratrice d'Eurotunnel, il n'y a pas d'urgence : « Eurotunnel
sort d'un long cauchemar fi nancier. Il faut lui donner le temps de
trouver ses repères . Mais il est clair que le jeu est aujourd'hui très
ouvert. Tout est donc possible. » Si tout est possible, c'est bien
grâce à la restructuration fi nancière menée par Jacques Gounon. La
dette a été divisée par deux, à 4, 16 milliards d'euros, somme à
laquelle il faut ajouter 1, 87 milliard d'euros d'obligations
remboursables en actions ( ORA ). Les résultats attendus seront
désormais supérieurs à la somme nécessaire au remboursement de la
dette, donc l'entreprise ne sera plus « structurellement » défi
citaire. En 2007, le résultat net pourrait même être équilibré, voire
positif, contre une perte de plus de 200 millions en 2006. Une
prévision fondée sur des estimations de chiffre d'affaires très
conservatrices. « On s'est suffi samment fait taper sur les doigts dans
le passé pour avoir fait des prévisions trop optimistes » , rappelle
une porte-parole du groupe.
Des avantages fiscaux
Eurotunnel, en outre, bénéfi cie de bonus : une concession jusqu'en
2086 et un report de défi cits fi scaux à hauteur de 890 millions
d'euros, un cadeau offert courant mai par l'Etat, qui va exonérer
Eurotunnel d'impôt pendant quelques années. Bref, la société serait
devenue une pépite, valorisée à 8, 8 milliards d'euros dans une récente
étude de la Deutsche Bank. Une prime de 5, 7 milliards par rapport à la
valorisation boursière de la société. De quoi aiguiser les appétits,
d'autant plus que le tunnel sous la Manche est une des dernières
grandes infrastructures européennes indépendantes, et qu'il n'y a pas
d'actionnaires de référence pour « défendre » la société. Pour combler
ce manque, la direction d'Eurotunnel a pris soin de glisser une pilule
anti-OPA dans son système : en cas de rachat, la dette senior et les
ORA seront immédiatement remboursables, ce qui représente une mise de
fonds préalable de 6 milliards d'euros.
par Damien Pelé & Sylvie Hattemer-Lefevre